L’audace, l’immense ambition de cet ouvrage, c’est de proposer un ensemble d’approches et un large débat, une recherche franchissant les frontières afin de promouvoir une vie économique et sociale beaucoup moins conflictuelle, plus constructive, plus conviviale et répartissant mieux les fruits du progrès, une économie de la paix.
« Vaste programme ! » eût dit un certain général.
Une vie économique et sociale vraiment moins conflictuelle, plus constructive, plus conviviale et répartissant mieux les fruits du progrès, une économie de la paix, n’est ce pas une utopie ?
Ils sont nombreux ceux qui ne le croient pas, qui pensent que ce n’est qu’un rêve, une utopie qui n’aboutirait qu’à faire plus de mal que de bien.
Ce n’est pas de gaîté de cœur que, de génération en génération, ceux qui nous ont préparé et construit une société contestée mais enviée ont pensé que l’affrontement était l’inévitable condition du progrès.
Certes, ils étaient souvent opposés les uns aux autres. Ils concevaient la lutte qui leur semblait nécessaire, inévitable, sous des formes contrastées, contre des ennemis opposés les uns aux autres mais la concurrence dure, la lutte des classes, la recherche du pouvoir pour contraindre, taxer, redistribuer ou, plus subtilement, pour manipuler l’outil de mesure, la monnaie, c’était toujours lutter, obéir à une loi de la vie.
Ils luttaient les uns contre les autres ; mais cette lutte leur semblait à tous essentielle, même si, de discorde en conflits, en violences, en rancœurs, en haines, elles préparaient des guerres.
Il en allait de même pour ceux qui tenaient la guerre, celle qu’on fait ou celle qu’on prépare, comme une condition incontournable de la survie des peuples. A ces luttes, il fallait être prêt à tout sacrifier, même sa vie et celle des autres. Les héros étaient ceux qui tuaient le plus de gens. Impossible de faire autrement. Et de siècle en siècle, avec des armes de plus en plus ravageuses, cette évidence s’imposait. Le seul moyen d’avoir des intervalles paisibles était d’être le dominateur ou d’accepter la domination. L’histoire le prouvait.
Oui, mais justement, l’histoire récente, la notre, a prouvé le contraire.
Alors que la plupart des penseurs et des gens d’expérience le croyaient impossible, quelques visionnaires : Monnet Schuman, Adenauer, Gaspréri, Spaak,… ont su concevoir, faire accepter, réaliser une union des peuples d’Europe les plus opposés, une union qui a consolidé la paix et attiré des pays de plus en plus nombreux.
Ne peut-il en aller de même en économie ? Des idées fausses ou à revoir ne sont-elles pas parmi les causes du désarroi de tant de jeunes qui n’arrivent pas à trouver l’emploi de leur compétence, a se loger, parmi celles des endettements monstrueux qui sont une menace qu’on ne sait pas maîtriser ?
Dans la chaleureuse préface qui ouvre les trois volumes de mon « Histoire de l’unité européenne » Jean Monnet me compte parmi ceux qui ont préparé les esprits à consentir aux concessions sans lesquelles l’Europe n’aurait pas pu naître.
N’est-il pas temps de chercher, de trouver les moyens de construire une économie paisible, où de saines concurrences, des débats constructifs, ne conduiraient plus à des affrontements dévastateurs ?
Définir une telle économie est une tâche qui dépasse mes forces.
En revanche, peut être ai je assez d’expérience pour lancer, pour amorcer un débat qui pourrait être fécond.
Peu de gens ont eu la chance de pouvoir observer au jour le jour, raconter et commenter cinquante années d’une vie économique d’une intensité exceptionnelle et notamment les trente premières années de la construction européenne, sous le contrôle d’une multitude de lecteurs dont certains étaient très compétents, de travailler avec Raymond Aron qui m’a proposé d’écrire mon premier livre « La percée de l’économie française » et l’a honoré d’une importante postface, de Jean Monnet, le père de l’Europe ; du maître d’oeuvre du remarquable redressement monétaire de 1958, Jacques Rueff, de bien d’autres.. Mes livres ont été et restent très utilisés au niveau universitaire. Ils ont été parfois lecture obligatoire, en France et ailleurs .
Le débat, la recherche que ce livre voudrait ouvrir, ni mes 89 ans, ni mes yeux qui ne lisent plus ne me permettront de les organiser, de les mener, de faire la synthèse des apports, de conclure, de donner suite. De tout cœur, merci à ceux qui le feront.
Quand on recherche, quand on entrevoit des solutions utiles, il est fréquent d’affirmer d’abord ce que l’on croit. Après, pour approfondir, nuancer, dialoguer, interroger d’autres apports, vient le moment de questionner.
Permettez moi, dans ce prologue, de vous dire ce que je pense, ce que je crois savoir. Après, et ce sera l’essentiel de ce livre, ces thèmes seront repris de façon plus interrogative pour ouvrir un débat.
Mes approches, plus ou moins détaillées, pourront amorcer, nourrir la discussion, aider à poser les problèmes.
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